Pour une éducation à l’éthique animale

Philosophes et scientifiques appellent à un enseignement de l’éthique animale à l'école.

Dans une tribune parue le 21 février 2017 dans Libération, des philosophes, scientifiques et historiens appelaient à une meilleure prise en compte de l’éthique animale dans les programmes de l'enseignement :

Les enfants expriment souvent une empathie spontanée à l’égard des animaux. Ils reconnaissent chez eux une volonté individuelle, une curiosité et une inquiétude qui leur sont familières. Qu’il s’agisse d’animaux proches ou lointains, expressifs, vulnérables, inventifs, curieux ou affectueux… les enfants se reconnaissent dans leur subjectivité et les voient pour ce qu’ils sont : les sujets d’une vie.

Programmes scolaires : loup y es-tu ?

En France, les animaux en tant qu’individus sont largement absents des programmes de l’enseignement. Ils y demeurent évoqués sous l’angle de l’espèce – comme des illustrations de la classification – rarement pour eux-mêmes. Par ailleurs, les connaissances acquises en éthologie sur les capacités cognitives, les émotions ou la pensée animales restent absentes des manuels de biologie, qui demeurent largement mécanistes et centrés sur la physiologie. Autre occasion manquée : dans leur chapitre sur la protection des animaux, les nouveaux manuels d’éducation morale et civique (EMC) n’envisagent d’accorder de la considération aux animaux qu’au titre de la biodiversité, des écosystèmes et de la conservation des espèces. Echouant à considérer chaque animal comme un patient moral ils demeurent ainsi, sauf exception, sans pertinence éthique.

Alimentant la confusion classique entre espèce et individu, cette tendance culmine dans les cours de philosophie. La question animale y est abordée dans une approche historique – par le biais de ce qu’en ont dit les grands auteurs – plutôt que par les travaux les plus récents en philosophie ou en science qui nous renseignent mieux aujourd’hui sur la mémoire, la pensée, le langage ou la conscience chez les animaux. Il en résulte que les débats sont posés en termes binaires périmés (inné/acquis, nature/culture, intelligence/instinct…) et qu’on invite les élèves à disserter sur des questions que la recherche scientifique a souvent rendues obsolètes. Enfin, au travers des sorties au zoo ou au cirque jusqu’aux initiations à la chasse ou à la corrida, le rapport aux animaux dont l’école se fait parfois le relais actif valide des rapports de force et banalise aux yeux des futurs citoyens des relations de domination.

Des exemples qui inspirent

Comment concevoir des démarches éducatives qui permettent de cultiver une ouverture aux autres formes de vie sensible, de développer l’empathie et la considération pour autrui, et d’encourager une qualité d’attention à l’autre s’étendant aux animaux – les plus «autruis» des autruis – selon la fameuse expression de Claude Lévi-Strauss ?

Il est en effet établi que, dans un contexte éducatif, le thème de l’animal est un support pédagogique permettant de développer la sensibilité de l’élève, et de le conduire par l’observation au respect de l’autre, de celui qui est différent. L’expérience que fait l’élève de la condition animale favorise ainsi chez le futur citoyen le sens des responsabilités et de la coopération, le rejet de la violence et aussi des discriminations arbitraires entre humains.

En Belgique, par exemple, les cours de philosophie et de citoyenneté sont proposés dans l’enseignement officiel durant toute la scolarité, du primaire au secondaire. Cet enseignement vise à permettre aux élèves d’aboutir «à des prises de position personnelles et responsables» et à développer sur des questions éthiques et des enjeux moraux une réflexion collective. En invitant à «comprendre et protéger la vie» et à «épargner la souffrance aux animaux» en adoptant une attitude respectueuse «de leur vie et de leur bien-être», plusieurs chapitres du programme ouvrent des perspectives pour s’interroger sur le statut moral des animaux. En outre, le manuel pour le secondaire soulève cette question dans un chapitre entier, intitulé précisément : Les animaux ont-ils des droits ?

A travers différents thèmes adaptés à l’âge des élèves, il s’agit ainsi d’accompagner chaque enfant dans sa capacité à encourager, par ses choix quotidiens, une relation aux animaux empreinte de respect et de responsabilité.

Vivre ensemble et faire société

En France, l’éthique animale a figuré durant quarante ans dans les manuels officiels pour l’école primaire (de 1883 à 1923) au côté de références à la loi Grammont, première loi historique de protection animale dans le droit français. Sans être nostalgiques de cette période, nous constatons aujourd’hui que notre rapport aux animaux alimente un débat social dont l’acuité est croissante, et qui soulève de vastes et passionnantes questions éthiques et philosophiques.

Les animaux ont-ils des droits ? Ont-ils un statut moral ? Notre responsabilité vis-à-vis d’autrui s’arrête-t-elle aux frontières de notre propre espèce ? Jusqu’où tenir compte de tous les individus capables de souffrir ?

Face à ces questions, la reconnaissance des animaux comme des êtres sensibles dans le code rural depuis 1976 en France, dans le droit européen depuis 1992 et depuis le 16 février 2015 dans le code civil français peut constituer un socle solide et légitime pour intégrer la question animale dans une démarche pédagogique concertée. Fondé à la fois sur l’état des connaissances scientifiques et l’état de la législation, un enseignement de l’éthique animale aura à cœur d’engager la réflexion par une approche attentive aux convictions de chacun. Pour l’enseignant, il importera d’accompagner le questionnement éthique et d’intégrer les notions de respect, de justice et d’empathie envers les animaux dans le cours d’éducation morale et civique (EMC) dans son ensemble.

Nous, soussigné(e)s, appelons ainsi à ce que l’éthique animale soit mieux intégrée dans l’enseignement, et que les programmes officiels du cours d’éducation morale et civique s’enrichissent de chapitres consacrés au statut moral des animaux, inscrits dans une progression pédagogique globale sur les notions de droits et de libertés.

Signataires

  • Marie-Claude Bomsel, Vétérinaire, professeur honoraire du Museum national d’histoire naturelle
  • Valérie Chansigaud, Historienne des sciences et de l’environnement, CNRS
  • Dominique Droz, Psychologue clinicienne, formatrice, Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education (ESPE)
  • Hélène Gateau, Vétérinaire
  • Martin Gibert, Philosophe
  • Dominic Hofbauer, Educateur en éthique animale, L214 Education
  • Thomas Lepeltier, Historien des sciences
  • Joël Lequesne, Psychologue clinicien, ancien psychologue scolaire
  • Jean-Marc Neumann, Juriste Chargé d’enseignement en droit animal, Université de Strasbourg
  • Joël Minet, Professeur au Museum national d’histoire naturelle
  • Corine Pelluchon, Philosophe, professeure, université de Paris-Est Marne-la-Vallée
  • Philippe Reigné, Professeur, Conservatoire national des arts et métiers
  • Matthieu Ricard, Biologiste, fondateur de Karuna-Shechen
  • Carl Saucier-Bouffard, Professeur en éthique au Collège Dawson (Montréal), chercheur associé à Oxford Centre for Animal Ethics
  • Cédric Sueur, Ethologue, maître de conférences, université de Strasbourg

Source :

Tribune du 21 février 2017 dans Libération