Quand les mots content les maux des animaux

Découvrez “Rose” la nouvelle littéraire de Sophie Daigle, 15 ans, qui remporte le premier prix du plus grand concours de littérature du Canada Atlantique. Elle nous raconte la genèse de ce texte poignant.

                                                                   Rose 

C’est le grand jour ! Fébrile, Rose attend avec impatience l’heure exacte où elle va pouvoir sortir de cet enfer. Déjà, la plupart de ses amies l’ont quittée pour commencer une nouvelle vie. Il faut dire qu’elle ne se plait pas beaucoup, là où elle se trouve maintenant. Rose partage sa maison avec plusieurs autres et elle commence à se sentir un peu à l’étroit. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas ses compagnons, mais elle n’a jamais pu rencontrer quelqu’un d’autre, voir quelque chose de nouveau. Sa vie est très, très monotone, et seulement entrecoupée de brèves visites de deux ou trois individus. Bien qu’elle soit nourrie et logée par ces gens, ce sont aussi eux qui la frappent, de temps à autres, si elle ne les écoute pas. Toutefois, Rose et ses amies continuent de les aimer et de rechercher leur attention, car certains jours, ils permettent à ceux qui sont assez âgés de quitter cet endroit trop serré! Aujourd’hui, Rose le sait, ils vont la laisser sortir. Après tout, elle a enfin atteint l’adolescence, elle est grande et solide, et non fragile comme à son arrivée. Enfin, Rose voit les gens qui vont la mener hors de la grande porte qui est presque toujours fermée. Quelques-uns d’entre eux s’approchent de Rose et la poussent doucement vers la porte, alors que les autres entrainent certains de ses compagnons dans la même direction. Le cœur de Rose bat à toute allure et la joie électrise ses veines. Va-t-elle retrouver son amie d’enfance, Marguerite? Du coin de ses yeux, elle voit les visages de ses camarades, qui se réjouissent de son départ et attendent avec impatience leur tour. Malheureusement pour eux, ce n’est pas pour aujourd’hui. Rose jette un dernier coup d’œil derrière elle, inspire profondément puis franchit la grande porte ouverte.

Le soleil l’éblouit. Bien qu’elle le voie souvent de la cour en arrière de la maison, où elle se promène le jour, il est particulièrement resplendissant aujourd’hui. Rose observe les alentours, s’attendant à découvrir de nouveaux paysages. Avant, elle n’était autorisée qu’à se rendre dans le grand champ en arrière, tapissé de gazon écrasé, de boue, de saletés et ceint d’une grande clôture. La seule différence qu’elle remarque, c’est que le gazon de ce bord-ci a l’air plus frais, plus propre, plus vert. Les gens qui l’entourent la pressent d’avancer, ils la dirigent vers une énorme boîte rectangulaire qui trône au milieu de la pelouse. Rose peine à distinguer ce qui se trouve à l’intérieur, il y fait si sombre. Les personnes devant elle font pénétrer Clara à l’intérieur. Rose ne la connait pas tellement, mais elle se rappelle son nom. Clara gémit et tente de se retourner, sans succès. Ses grands yeux noirs disparaissent dans l’obscurité alors qu’elle est forcée d’avancer. La peur enserre à présent les entrailles de Rose. Que se trouve donc dans cette boite pour que Clara ne veuille pas y entrer? Finalement, elle réussit à percer la noirceur, seulement pour y découvrir que Clara n’est pas la seule à l’intérieur. D’autres y sont aussi entassés, les yeux pleins de frayeur et de folie. Alors qu’elle s’approche encore, Rose entend les gémissements de douleur, et l’odeur pestilentielle la frappe en plein visage. Elle crie et tente de faire demi-tour, mais les mains qui la retiennent sont trop solides. Son cœur bat la chamade et la terreur obscurcit ses pensées alors qu’elle pénètre dans la boîte. Derrière elle, on referme l’ouverture. Elle se retrouve dans la noirceur la plus totale, tassée contre ses compagnons. Tout à coup, le sol est secoué de tremblements et elle perd pied.

Rose se demande combien de temps s’est écoulé; quelques heures, des jours ou des semaines. Elle n’a pas pu sortir, voir le soleil, respirer de l’air frais. Personne ne lui a apporté à manger ni à boire et elle se sent de plus en plus faible. Puisque le sol arrête rarement de trembler, rester debout devient de plus en plus difficile. Bien qu’elle ne voie rien, elle sent la mort autour d’elle et sait au fond de son cœur que certains sont tombés et ne se sont pas relevés. Rose réalise soudain qu’elle ne reverra jamais Marguerite. Une larme roule sur sa joue tandis qu’elle sent la lassitude l’envahir. Elle se laisse lentement glisser par terre. Elle non plus, ne se relèvera pas.

Quelques semaines plus tard, un couple entre au restaurant pour fêter la St-Valentin. L’homme, galant, tire une chaise pour la dame. Ils commandent, reçoivent leur repas et se préparent à déguster leur steak tendre à la sauce barbecue. Rose.

Rose, cette vache pleine de joie, de curiosité et d’amour, née simplement pour mourir.

Sophie Daigle

L'auteure nous raconte

Sophie Daigle

Cette jeune auteure canadienne de 15 ans est en 10e année (c'est l’équivalent de la seconde au lycée en France). Elle nous a fait parvenir ce beau texte qu'elle a écrit cette année pour participer au concours de création littéraire du festival Frye, nous lui avons demandé de nous parler de cette nouvelle mais aussi des animaux qu'elle compte bien défendre grâce à sa plume !

Sophie, peux-tu te présenter ?

Mon nom est Sophie Daigle, je suis en 10e année, au Canada (l’équivalent de la seconde au lycée en France) et j’ai 15 ans.

Quel est ce concours pour lequel tu as remporté le premier prix ? 

C’est un concours pour les élèves de 9e à 12e année qui fait partie du Festival Frye, le plus grand événement littéraire au Canada atlantique. Nous devions composer une nouvelle littéraire en français ou en anglais.

Est-ce que tu écris depuis longtemps ? Comment t’est venu ce choix de sujet ?

J’écris depuis que je suis petite, j’ai même déjà publié un livre d’enfant, Eva et le miroir magique. Le choix du sujet m’est venu spontanément. J’adore les animaux et je suis végétarienne, j’ai toujours voulu partager avec d’autres personnes ma vision de l’élevage des animaux et de la viande qu’ils mangent à chaque jour. Finalement, j’ai trouvé la meilleure façon de le faire : de les plonger dans les derniers instants d’une vache destinée à l’abattoir.

Dans ta nouvelle, Rose vit une expérience peu réjouissante, attends-tu une réaction de la part des lecteurs ? Si oui laquelle ?

Je m’attends à ce que les lecteurs s’attachent à Rose et puis qu’ils soient tristes, choqués, dégoûtés en lisant la fin. J’espère que leur steak à un peu moins bon goût après la lecture de mon texte. Je souhaite qu’ils éprouvent de la pitié pour un personnage qu’ils pensaient humain, et qu’ils réalisent qu’il n’y a pas tellement de différence entre un animal et un humain.

Es-tu inspirée par d’autres lectures ? Penses-tu que les mots ont le pouvoir de changer les choses ? Si oui, quels changements aimerais-tu voir venir ?

Je ne me suis pas vraiment inspirée d’autres lectures pour créer ce texte. Je crois qu’à un certain point, les mots ont du pouvoir. Ils peuvent changer la façon de penser des gens, s’ ils sont bien écrits. J’espère que le texte que j’ai écrit poussera certains à réduire leur consommation de viande et de produits provenant d’animaux. Je ne pense pas que la planète entière pourrait cesser complètement de consommer la viande, mais si chacun pouvait participer, même juste un peu, je crois que nous pouvons diminuer l’ampleur de l’élevage d’animaux et y instaurer de meilleures conditions de vie. 

As-tu d’autres projets d’écriture en cours ?

En ce moment, je fais un plan pour un roman de fantaisie et de dragons et j’ai plusieurs autres histoires dans la tête !

Merci Sophie et bravo, nous suivons tes aventures littéraires avec attention !

LE FESTIVAL FRYE

Ce festival est une célébration bilingue des livres, des idées et de l’imagination. Le concours de création littéraire s’adresse aux élèves de la 9e à la 12 année et récompense les meilleurs textes dans deux catégories : poésie et nouvelle. Un jury professionnel sélectionne trois finalistes dans chaque catégorie et dans chaque langue. Les textes sont évalués selon les critères suivants : l’originalité et la créativité, le style et la richesse du vocabulaire, l’organisation des idées, la qualité de la langue.

EVA ET LE MIROIR MAGIQUE

Sophie Daigle a publié son premier ouvrage à l’âge de 11 ans, Eva et le miroir magique aux éditions La grande Marée, album illustré par Denise Paquette, 2017.
Par un soir d’orage, les membres de la famille Legacy lisent dans le salon de leur maison de campagne, lorsque le toit se met à couler. À la demande de son père, Eva se rend au sous-sol pour chercher un marteau et des clous. Elle regarde dans un miroir qu’elle voit pour la première fois. En se rapprochant de la glace, elle est transportée dans un autre monde où vivent des créatures étranges.